2.11.10

IL EST SORTI !

Après des mois à me demander si j'oserais ou pas, je me suis décidée. J'aurais dû bien avant, car il a plu. Mais qui ? Un petit recueil de nouvelles grinçantes, parfois drôles, souvent dérangeantes. Le sujet ? Nos péchés ! A dévorer sans modération....




N'hésitez pas à le feuilleter, à l'acheter aussi. Et laissez vos commentaires sur Bouquineo ou Babélio.

16.5.10

Le cygne et le corbeau

Il y a quelques temps que je n'étais venue, quelle négligence ! Et bien, non ! En fait, j'ai creusé d'autres trous dans la maison des lettres, découvert d'autres passages, d'autres expressions, rencontrer des gens formidables et bourrés de talents, et je me suis fait de nouveaux amis. Cette nouvelle exploration en valait donc la peine.
Mais je me fais fort de mettre une nouvelle par mois, aussi dans mes grimoires, j'ai retrouvé celle-ci, bien caustique, comme je les aime.


C’est avec un petit frisson de plaisir qu’elle ajusta sa guêpière blanche, festonnée de rubans roses. Elle prit le temps de la serrer soigneusement, faisant légèrement pigeonner sa poitrine, et lissant les bords sur la taille et les hanches. Puis avec lenteur, elle enfila ses bas de soie, tout exprès achetés pour l’occasion. Devant le miroir, elle se contempla, sûre que la nuit qui l’attendait serait inoubliable. Dans son esprit il ne pouvait en être autrement. Avec mille précautions, elle se glissa dans sa robe. Depuis toujours elle rêvait de ce moment, où elle serait le centre du monde l’espace d’une journée. La robe était son chef d’œuvre. Elle l’avait pensée, s’imaginant dedans, telle une Cendrillon à son premier bal, une princesse de contes de fées : un bustier entièrement incrusté de petites perles de nacre, un jupon ample recouvert de tulle et parsemé de minuscules roses blanches. Elle jeta un dernier regard à son reflet : la coiffeuse avait piqué des perles dans ses cheveux, remontés en chignon, rappelant les motifs du bustier. Tout était parfait, elle pouvait y aller. Elle descendit précautionneusement l’escalier, espérant ne pas glisser avec ses talons hauts ou se prendre les pieds dans sa traine. En bas, la famille était réunie, son arrivée fut suivie d’un long silence que son père rompit :
— Ma chérie, tu es merveilleuse, une vraie princesse.
Sa mère la dévisageait sans mot dire. Elle chercha sur son visage un signe d’encouragement, mais connaissant son perfectionnisme maladif, elle attendit la critique qui ne tarda pas :
— Superbe, en effet, mais tâche de te tenir droite et ne lâche pas ton voile.
Elle avait espéré que ce jour serait différent de son quotidien, fait de sempiternelles recommandations maternelles, de remontrances et d’humiliations. Pour celle qui avait été bercée par des propos acerbes, des remarques désobligeantes sur son physique ingrat et des déceptions à peine voilées, l’espoir d’une parole réconfortante se soldait par un échec, une fois de plus.
D’aussi loin que ses souvenirs remontaient, elle avait subi de l’aigreur de sa mère qui avait longtemps espéré un fils qu’elle n’eut jamais. Sa naissance difficile avait occasionné un déchirement irréversible de l’utérus qui l’avait condamnée à ne plus procréer. Refusant d’investir dans le bonheur d’une unique enfant, elle avait reporté ses griefs sur sa fille, jugée indigne d’elle. Sa « petite boulotte » était rapidement devenue son « boulet », trainant avec elle un cortège de lamentations sur les vicissitudes d’avoir une fille si mal foutue, si empotée. Elle avait cherché dans l’affection de son père un soutien qui ne vint jamais. Homme gentil, mais sous la coupe de son épouse, il assistait en spectateur muet aux vexations régulières dont elle était l’objet, sans oser affronter sa maitresse-femme. Il avait choisi de se réfugier dans ses chères collections de timbres, occasions pour lui de s’évader à moindre frais d’un bourreau domestique qui régentait la maison et ses occupants. Trop couard pour marquer son opposition, il manifestait son amour de père à mots couverts, préférant lui offrir une assistance passive qui lui procurait le confort d’une paix égoïste.
Elle prit une grande inspiration. Ce jour marquait la fin de son calvaire et le début de sa libération. D’un ton quelle voulut enjoué, elle dit :
— En route, Marc doit nous attendre à la mairie.

La cérémonie fut simple et brève, mais pour Sophie l’espoir d’une nouvelle vie effaçait les brimades. Désormais, les yeux de Marc lui renverraient une image d’amour dont elle avait toujours été privée. Elle n’arrivait pas à comprendre comment ce garçon, que d’autres filles se disputaient, avait pu s’intéresser à elle, la boulotte, la grosse, la moche. Ils s’étaient rencontrés dans la bibliothèque municipale de son quartier. Employée à mi-temps, son travail consistait essentiellement à remettre sur les rayonnages les ouvrages rapportés par les abonnés. De temps à autre, un égaré l’abordait, sollicitant un renseignement sur la localisation d’un domaine précis ; il lui était même arrivé d’orienter certains lecteurs dans le choix d’un livre. Cet univers de papier lui permettait d’échapper à l’atmosphère pesante de la maison familiale, dans laquelle on lui faisait si souvent sentir sa petitesse.
— Ma pauvre fille, comment veux-tu t’en sortir avec un bagage aussi réduit ? Un bac, et littéraire en plus, alors que de nos jours il faut être au moins ingénieur pour pouvoir espérer gagner correctement sa vie.
Comment lui expliquer que ses complexes, engendrés et nourris par l’aversion maternelle, l’avaient conduite à un repli sur elle-même, au point de développer une timidité extrême la faisant bafouiller en présence d’un étranger, accentuant encore le ridicule de sa personne.
— Pardon, mademoiselle, je suis à la recherche d’un ouvrage sur les femmes au Moyen-Age…
Face à cet homme, elle avait rougi, s’était montrée gauche, cherchant ses mots. Elle l’avait finalement conduit au rayon en question et s’était prestement retirée pour ne pas avoir à lui infliger la vision de sa laideur. Deux semaines plus tard, il était revenu, à la recherche d’un titre plus pointu. Il avait engagé la conversation sur le sujet, les réponses de Sophie s’étaient faites plus précises mais toujours empruntes de réserve. Elle n’osait pas le regarder dans les yeux. Ce petit jeu avait duré quelques mois, les visites de Marc s’étaient rapprochées, leurs discussions se faisaient de plus en plus longues.
Un jour, il l’avait invitée à dîner, elle y avait beaucoup réfléchi, puis pressée d’accepter, avait cédé. Ils s’étaient revus, deux mois plus tard il l’épousait à la mairie du XVIIIème. Ce que Marc avait pu lui trouver restait un mystère à ses yeux. Elle ne se savait ni intelligente, ni jolie, n’avait pas d’amis, sortait peu. Mais la tendresse de ce jeune professeur d’histoire l’avait parée de toutes les qualités qui lui avaient fait défaut depuis toujours.
En rentrant un soir, elle avait dit de but en blanc :
— J’ai rencontré un garçon, nous allons nous marier.
Cette annonce avait fait l’effet d’une douche froide. Durant un moment ses parents étaient restés sans voix, à la dévisager comme si elle venait de prononcer une énormité. Sa mère, plissant les yeux, avait alors demandé :
— Tu es enceinte ?
Pour elle, il paraissait donc impensable qu’un homme puisse s’intéresser à sa fille, si ce n’est après en avoir joui à l’horizontale.
— Il est prof, habite en banlieue et la cérémonie est fixée au 18 octobre.
— Et tu nous préviens à la dernière minute ! Organiser un mariage, c’est du travail. Comme d’habitude tu ne réfléchis à rien ! s’était exclamée sa mère.
— Nous avons décidé d’une cérémonie toute simple, sans chichis et dans la stricte intimité. Vous êtes conviés naturellement. Et pour ta gouverne, maman, je ne suis pas enceinte.
Ce soir-là, elle avait éprouvé un sentiment de triomphe, inconnu jusqu’alors. Elle avait savouré la surprise de ses parents et surtout l’amertume de sa mère qui réalisait que désormais son jouet lui échappait.

Sa nouvelle vie lui plaisait. Elle avait emménagée chez Marc, une grosse maison lotie en plusieurs appartements dans une impasse qu’il trouvait fort pratique, étant à quelques rues de son établissement. Il lui avait fallu quelques temps pour prendre ses marques, n’osant toucher à rien, hésitant à poser ses propres affaires, comme si elle n’était que de passage. Mais la tendresse qu’il lui procurait avait eu raison de sa retenue, et elle évoluait désormais à l’aise dans son nouvel environnement. Jamais elle ne s’était sentie si bien, profitant des moindres plaisirs que lui donnaient leurs conversations quotidiennes, des petites attentions qu’il avait pour elle.
Patiemment, doucement, il avait su trouver les mots pour la convaincre de s’abandonner et sa persévérance avait payé. Elle n’était plus la grosse idiote gauche et timide. Convaincue que sa rencontre avec Marc était un hasard heureux mais fragile, elle avait tenu à se montrer à la hauteur, soignant du mieux possible son apparence, elle s’astreignait chaque jour à deux heures de gymnastique, surveillait son régime, passait une partie de ses nuits à dévorer des ouvrages empruntés à la bibliothèque pour pouvoir ensuite en parler avec l’homme de sa vie. Au bout de quelques temps, elle parvint à s’habituer à ce bonheur qui l’avait effrayée, reléguant aux oubliettes les souvenirs de sa jeunesse. Une nouvelle femme, plus affirmée et bien dans sa peau, avait chassé la jeune fille timorée. Ce nouvel envol lui avait permis de décrocher un emploi à plein temps et le couple coulait des jours heureux, bientôt rejoint par la venue d’une petite fille, pour le plus grand bonheur de Sophie. Elle reporta sur son enfant tout l’amour qui lui avait été refusé, faisant de sa fille son principal centre d’intérêt, la couvrant de louanges, attentive à ses moindres craintes, l’encourageant à s’affirmer.
Si la naissance d’une petite-fille avait enchanté son grand-père, la mère de Sophie l’avait plutôt mal accueillie. Un bref coup d’œil sur le berceau à la maternité, des félicitations lâchées du bout des lèvres, contraintes par la présence de son beau-fils, avaient été les seules marques d’intérêt qu’elle avait daigné prodiguer. Sa réaction n’avait pas surpris Sophie, habituée à sa froideur, mais Marc, malgré les avertissements de sa femme, en avait été choqué, refusant pour autant d’entrer en conflit avec des gens qu’il fréquentait le moins possible. L’éloignement des deux couples avait tacitement été décidé, nul n’éprouvant le besoin ou l’envie de partager des moments communs, durant lesquels le silence occupait la plus grande place et débouchait sur un inévitable malaise. Leurs centres d’intérêts respectifs, leurs activités, leurs amis, tout les opposait ; et le jeune couple s’était parfaitement accommodé de cette prise de distance qui assurait sa tranquillité.

Ce fut donc une réelle surprise pour Sophie lorsqu’elle découvrit sa mère sur le pas de la porte. Elle qui n’avait jamais éprouvé l’envie de venir chez eux, débarquait un matin sans crier gare. Sophie, prise au dépourvu, se sentit d’abord gênée, reprenant ses vieilles habitudes, puis réalisant qu’elle était désormais maîtresse chez elle, choisit de recevoir sa mère avec assurance, alarmée néanmoins de cette visite inopinée. D’emblée sa mère attaqua :
— Quel calvaire pour venir chez toi ! Tu habites au bout du monde. Comment peux-tu vivre dans un pareil quartier ?
Sophie se dit qu’elle ne cèderait pas à ses réflexions mesquines, préférant ignorer les propos.
— Il s’est passé quelque chose ? Papa est malade ?
— Toujours aimable, même pas un bonjour ! Non, ton père va bien. Si je suis venue, c’est que nous avons décidé de vendre la maison pour nous installer dans le Midi. Ton père prend de l’âge (Toi aussi, pensa Sophie, mais tu es trop fière pour le reconnaître) et nous avons quelques connaissances sur la Côte d’Azur. Nous avons donc mis la maison en vente. Dès les derniers papiers bouclés, nous déménageons.
— Bien, dit Sophie, je pense que nous essayerons de venir vous voir de temps en temps.
Au même moment, sa fille apparut, encore maladroite sur ses jambes, trainant derrière elle un chiffon baveux dont elle ne se séparait jamais et qui la réconfortait lors des petits chagrins.
Sa grand-mère la dévisagea et esquissa un sourire, le premier sur ses lèvres depuis des années. Sophie se méprit sur ses intentions.
— On a raison de dire que la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. C’est ton portrait craché, une petite boulotte que tu vas trainer longtemps, un vrai boulet. Je te souhaite bien du plaisir.
Toutes ces années, Sophie avait construit un mur face aux vexations maternelles, et pierre après pierre, bâti son bonheur familial. Cette femme venait en une phrase de briser son bel édifice.
Elle s’approcha lentement de sa mère, posa ses mains sur ses épaules et la poussa avec force. La vieille femme tombant en arrière, dévala l’escalier de pierre, sa tête heurtant brutalement l’avant-dernière marche avant de s’immobiliser, un filet de sang s’échappant de ses lèvres. Dans la rue, tout était calme à cette heure avancée de la matinée, nul promeneur, nul voisin, nul témoin de ce…stupide accident.

C’est avec un petit frisson de plaisir qu’elle ajusta sa guêpière noire, festonnée de rubans rouges. Elle prit le temps de la serrer soigneusement, faisant légèrement pigeonner sa poitrine, et lissant les bords sur la taille et les hanches. Puis avec lenteur, elle enfila ses bas de soie, tout exprès achetés pour l’occasion. Devant le miroir, elle se contemplait, sûre que la journée qui l’attendait serait inoubliable. Dans son esprit il ne pouvait en être autrement. Avec mille précautions, elle se glissa dans sa robe. Ses formes, qu’elle avait soigneusement sculptées à force d’exercices répétés, n’avaient guère été altérées par sa grossesse. Elle jeta un dernier regard au miroir : ses cheveux remontés en chignon lui donnaient un air sévère qui cadrerait tout-à-fait pour la circonstance. Tout était parfait, elle pouvait y aller. Elle descendit l’escalier avec assurance. Marc et leur fille attendaient en bas. Son arrivée fut suivie d’un long silence que Marc rompit :
— Ma chérie, tu es merveilleuse, comme d’habitude.
Une fois de plus, les compliments de Marc effaçaient toutes les humiliations du passé. Désormais, elle était libre, elle pouvait s’affirmer sans contrainte ni jugement. Elle envisageait son avenir, leur avenir, avec sérénité, dans un cadre fait d’amour, sans aucun obstacle. Elle prit une grande inspiration. Ce jour marquait la fin de son calvaire et le début de sa libération. D’un ton quelle voulut solennel, elle déclara :
— En route, maman nous attend à l’église.



1.4.10

La fin du monde



Il y a quelques temps, je me suis immiscée dans le domaine du fantastique. Drôle d'aventure. Avous de juger !



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